Selon une enquête approfondie de l’hebdomadaire flamand Knack publiée le 8 octobre, la Belgique a toujours souhaité acquérir le F-35 de Lockheed Martin. D’autant plus que les Belges ont promis en 2013 à l’OTAN d’acheter des avions furtifs. Tout l’enjeu pour Bruxelles et les militaires belges a consisté à justifier de façon irréfutable cet achat par une procédure officielle et inattaquable. Il ont donc lancé un appel d’offres international et y ont glissé des critères de façon subtile (missions Suppression of enemy defenses ou SEAD) pour favoriser Lockheed Martin. Ce qui a logiquement conduit Boeing, puis Dassault Aviation à renoncer à répondre à l’appel d’offres tel qu’il était rédigé. Boeing a même diffusé un communiqué où il évoquait des règles du jeu qui ne seraient « pas véritablement équitables » et une compétition « pas pleine et ouverte ».
« Nous regrettons qu’après avoir examiné la demande, nous ne voyions pas l’opportunité de concourir avec des règles du jeu véritablement équitables avec le Super Hornet F/A-18 », avait expliqué Boeing. « Lorsqu’il il y a une compétition pleine et ouverte, nous attendons avec impatience d’apporter la totalité et l’ampleur de Boeing à notre offre », avait précisé le vice-président de Boeing chargé des ventes mondiales dans le domaine de la stratégie, de la défense, de l’espace et de la sécurité, Gene Cunningham.
1/ La Belgique a promis à l’OTAN d’acheter des avions furtifs
Selon Knack, la Belgique a promis il y a cinq ans à l’OTAN d’acheter des avions furtifs. Par conséquent, le F-35 était bien le seul candidat à proposer un avion de combat disposant de telles capacités parmi tous ceux qui étaient en compétition. « En mai 2013, lors de pourparlers avec l’OTAN, notre ministère de la Défense a fixé les objectifs pour l’avenir de notre armée. Parmi ces objectifs, il y avait la promesse de fournir une flotte de 54 avions de chasse, dont au moins dix devaient avoir une capacité furtive », a révélé Knack, sur la base d’un document classifié de l’OTAN que l’hebdomadaire a pu consulter.
Cette orientation a été confirmée et réactualisée (45 appareils) en 2017. Knack a donc interrogé à plusieurs reprises le cabinet du ministre Steven Vandeput pour savoir qui a approuvé politiquement les objectifs en 2017. Réponse du cabinet : « ils sont imposés par l’OTAN ». La Belgique a accepté ces conditions mais elle pouvait également les refuser. Le document de l’OTAN, qu’a pu consulter Knack, mentionne explicitement la furtivité comme l’une des exigences de l’Organisation. C’est la première pierre d’une coopération furtive avec Lockheed Martin. Au final les Belges ont évité d’évoquer systématiquement le terme furtivité dans l’appel d’offres. Un terme beaucoup trop fléché F-35…
2/ Bruxelles veut des avions furtifs mais ne l’écrit pas
Comment favoriser le F-35 sans le faire clairement apparaître dans l’appel d’offres? C’est tout l’enjeu de l’appel d’offres. Selon Knack, un indicateur précoce a été évoqué dans une conversation par courriel que l’hebdomadaire a obtenue, entre Steven Lauwereys et Frederik Vansina, deux figures importantes de la Force aérienne, au début de 2014. Au cours de la même année, les deux hommes ont accédé aux postes les plus élevés du ministère de la Défense : le major-général Vansina a succédé à Claude Van de Voorde au commandement de la Force aérienne en novembre ; le lieutenant-colonel Lauwereys a été nommé quelques mois plus tôt officier de projet du Programme de capacité de combat aérien (ACCaP), la cellule qui doit prospecter pour l’achat d’un nouvel avion de combat. C’est son équipe qui a rédigé l’appel d’offres (RfGP).
Les recherches de Knack montrent qu’une préférence pour le F-35 a été écrite à un stade précoce. Le 13 janvier 2014, le lieutenant-colonel Lauwereys et le major-général Vansina ont échangé des idées par courrier électronique sur une présentation PowerPoint qui sera adressé aux constructeurs intéressés par le renouvellement de la flotte d’avions de combat belges. Le lieutenant-colonel laisse entendre qu’il a effectué quelques changements : « J’ai essayé d’incorporer ‘Anti-acces anti-denial’ dans « Future operational environment » pour éviter un lien direct avec le caractère furtif ». Un terme qui n’est effectivement pas anodin. Si la furtivité ne sera pas mentionnée dans les exigences des missions futures dans l’appel d’offres, elle y sera de façon implicite dans »Anti-acces anti denial ». Soit clairement des missions SEAD, qui demandent cette fameuse capacité de furtivité. Pourtant la Belgique effectuait jusqu’ici des missions de maintien de la paix, de police du ciel, de sécurité et de stabilisation.
« La Belgique a accepté en 2013 de suivre les décisions de l’OTAN en décidant d’acheter des avions furtifs pour des missions de guerre comme des missions SEAD dans lesquelles la Belgique n’a quasiment pas d’expérience », a expliqué le journaliste Stavros Kelepouris, auteur de cette enquête.
3/ Police du ciel : le F-35 inefficace
En revanche, la mission de police du ciel, une des missions que l’armée de l’air belge accomplit depuis des années, par exemple au-dessus des États baltes, n’a pas figuré sur la liste des six scénarios retenus dans le cadre de l’appel d’offres. Ce n’est pas un hasard si cette mission a disparu : le F-35 en termes de maniabilité et de vitesse de pointe est inférieur à ce que font les autres candidats. Les scénarios ont été choisis pour s’adapter aux points forts du F-35 mais surtout pas à ses points faibles.
4/ Une mission nucléaire furtive
L’offre belge n’incluait aucune mention au sujet d’une capacité nucléaire. Pourquoi alors que les politiques belges souhaitent conserver cette mission ? « Premièrement, cela aurait voulu dire qu’il existe officiellement des armes nucléaires sur le sol belge, a expliqué à la Tribune Stavros Kelepouris. Officiellement ce n’est pas le cas, même si beaucoup de monde pense le contraire. Ce point n’a jamais été admis officiellement. Par conséquent, dans le processus de sélection, rien n’a jamais été officiellement évoqué sur les capacités nucléaires du futur avion de combat belge ».
5/ Suspense sur le vrai prix
Le coût de l’investissement pour 34 F-35A du block 4 s’élève finalement à 3,8 milliards d’euros (en euros courants). Les paiements seront effectués sur une période de plus de 12 ans. Pour compenser l’évolution des taux de change, une provision supplémentaire de 5% est prévue. Cela porte le coût d’investissement à 4,011 milliards (en euros courants). C’est plus d’un demi-milliard de moins que prévu dans la vision stratégique pour la Défense, se vante l’ancien ministre de la Défense, Steven Vandeput. Pourtant, en janvier, le département d’État américain, qui a décidé d’approuver la vente de 34 F-35 à la Belgique, avait estimé le coût de l’opération à 6,53 milliards de dollars.